Pour faire les bons choix ou pour comprendre le cheminement qui a conduit à l’avènement d’une technologie ou d’un acteur du Web, il faut connaître son Histoire. Alors oui, même si elle est relativement récente et que les historiens vous diront qu’il faut prendre du recul, je pense qu’il est indispensable aux professionnels du web que nous sommes, d’avoir en tête les principaux faits de ces trois dernières décennies. Or cela tombe bien car l’excellent site css-tricks.com a publié les écrits du non moins excellent Jay Hoffmann nous relatant l’Histoire du web.
Résumé des 3 premiers épisodes
Chapitre 1 : Naissance
C’est Tim Berners Lee, influencé par la pensée de Ted Nelson (inventeur du concept d’hypertexte en 1968) qui posera les bases sur lesquelles reposent encore aujourd’hui le Web, à savoir l’HTTP, l’HTML et l’URL. En 1989, le document de milliers de mots qui au départ semblait “vague mais excitant” au yeux du CERN allait avec l’aide de Robert Cailliau devenir un langage universel d’une élégance rare, d’une simplicité stupéfiante prenant en compte la souplesse et l’universalité.
En 1990, grâce au travail sur un navigateur textuel d’une stagiaire Nicola Pellow (et oui une femme !), le Web est prêt à être montré au monde. En 1991, lorsque l’équipe du CERN a soumis un article sur le World Wide Web à la Conférence hypertexte de San Antonio, il est fermement rejeté. Mais ils y sont allés quand même, où installés sur une table avec un ordinateur ils purent faire la démonstration aux participants de la conférence. Le succès fut presque immédiat.
Mais Tim Berners Lee ne veut pas laisser cet outil de diffusion de l’information aux mains de quelques uns. Dès lors, il impose au CERN (plus intéressée par les percées en physique des particules que par l’hypertexte) de publier le Web sans license !
Bref, c’est passionnant, instructif et c’est à lire ici : Chapter 1 : Birth
Chapitre 2 : Navigateurs
Le premier navigateur fut créé par Sir Tim Berners Lee, lui même. Mais il n’était disponible que sur la plateforme NEXT. C’est donc Nicola Pellow qui fut chargée de créer un navigateur en mode texte disponible sur différents systèmes, de Unix à Microsoft DOS, pour que n’importe qui puisse accéder au Web.
Avec Jean-François Groff, Berners Lee publie le 7 août 1991 le paquet libwww. Développé en C, Le paquet libwww constituait un ensemble de composants communs pour créer des navigateurs graphiques. Il comprenait :
- le code nécessaire pour l’analyse HTML,
- le traitement des requêtes HTTP
- le rendu des pages,
mais aussi les outils pour :
- la création de l’interface utilisateur du navigateur
- intégrer l’historique du navigateur
- et gérer les fenêtres graphiques.
En décembre 1991, en combinant les travaux de Berners Lee et les siens, le chinois Pei-Yuan Wei développe, en une nuit selon la légende, le navigateur ViolaWWW. Ce dernier innovait notamment par l’inclusion d’un concept de feuille de style. Ce navigateur devient dès 1992, le navigateur recommandé par le CERN.
Et nombreux furent ceux aux début des années 90 qui développèrent un navigateur.
En juin 1993, il y avait 130 sites Web dans le monde entier.
Il y avait facilement une douzaine de navigateurs à choisir.
C’est à peu près un navigateur pour dix sites Web.
En 1993, Marc Andreessen sortira le navigateur Mosaic qui ajoutera la balise <img> pour les images à son navigateur sans attendre l’aval de Berners Lee. Finalement, le succès grandissant, Mosaic s’est scindé en deux. Andreessen créa une nouvelle entreprise qui repartira de zéro pour faire un nouveau navigateur : Netscape.
Bref, c’est passionnant, instructif et c’est à lire ici : Chapitre 2 : Navigateurs
Chapitre 3 : Le site Web
Le premier site Web avait pour URL : info.cern.ch. Rien de bien étonnant, car il été créé par l’inventeur du Web, Tim Berners-Lee, alors qu’il y travaillait encore. Constitué d’une simple page, on y trouvait une liste de liens pour en savoir plus sur le Web et obtenir tous les détails techniques, notamment pour télécharger le code du navigateur Web, mais aussi un début d’annuaire de sites web que Berners-Lee ajoutait au fur et à mesure.
La première “application” Web était celle du laboratoire américain SLAC. Conçu par Paul Kunz et Louise Addis, il s’agissait d’une page simple avec un seul champ de texte. Tapez une requête dans ce champ, cliquez sur Entrée et vous obtenez les résultats en direct des enregistrements, à partir de la base de données du laboratoire.
Le premier site commercial était Global Network Navigator. Il était conçu comme quelque chose entre le portail Web et le magazine. D’une part, il comprenait des pages de meilleures listes, des collections de sites Web populaires classées en catégories telles que la finance, la littérature ou la cuisine. De l’autre, il contenait des articles, des colonnes, des guides de référence et des groupes de discussion spécialisés par domaine. Mais GNN a également été le premier site sur le Web avec un lien sponsorisé et des publicités informatives simples, discrètes et insérées entre leurs autres listes. (La popup ne viendrait que bien plus tard).
En 1995, Carolyn Burke est l’une des premières à publié son journal intime…
À la fin de 1993, il y avait un peu plus de 600 sites Web.
Un an plus tard, à la fin de 1994, il y en avait plus de 10 000.
Lorsque Tim Berners-Lee a imaginé le Web pour la première fois, il pensait que chacun aurait sa propre page d’accueil. Il a conçu son premier navigateur avec des capacités de création pour cette raison. Sans en être là, nous n’en sommes pas si loin.
Bref, c’est passionnant, instructif et c’est à lire ici : Chapitre 3 : Le site web
Et à quoi cela me sert de savoir tout ça ?
Oula, toi le jeune, lâche un peu ton smartphone et relève la tête pour mieux irriguer ton cerveau ! Le Web est un bien commun. Il est une source d’informations quasi infinie dans tous les domaines. Il est donc important de veiller à la transparence et l’indépendance aussi bien des infrastructures que des technologies sur lequel le Web repose. Et face à chaque nouvelle proposition, lorsque que l’on est développeur, nous ne devons pas nous jeter tête baissée dans son application mais réfléchir aux impacts que cela pourrait avoir.
L’exemple de google
Et en la matière Google est maître ! Comprenons nous bien, nous sommes collectivement Google dépendants pour 3 raisons :
- le moteur de recherche Google utilisé à 90% par les internautes,
- le navigateur Chrome utilisé à 65%,
- et l’hébergement de site Web Google Cloud est en pleine poussée avec une hausse de 52% en un an.
En gros, Google nous fournie au travers de son navigateur, une information sélectionnée par son moteur de recherche et potentiellement hébergée par Google Cloud. Et je ne vous parle pas des services de messagerie, Drive ou de visioconférences. On est loin de l’indépendance rêvée au départ du Web.
Alors j’ai déjà fait part de mes états d’âme sur certaines propositions pour faire “évoluer le web”, mais certaines me donnent froid dans le dos : Chrome 86 veut masquer les URLs pour lutter contre les attaques phishing ! Mais je ne suis pas le seul à penser que c’est fondamentalement une mauvaise idée, puisque même au sein de l’équipe Chrome, Paul Irish déclare
Mon opinion personnelle est que
c’est un très mauvais changement (…).
Et même si Google n’est pas le diable, l’objectif étant louable ce n’est pas la première fois que Google veut jouer avec les URLs notamment avec les pages AMP hébergées sur leur serveur… Et il en va de même avec la proposition de Google sur les WebBundles que Peter Snyder, chercheur principal en confidentialité chez Brave Software, considère nuisibles au blocage de contenu, aux outils de sécurité et au Web ouvert ! Rien que ça !
“Qui oublie le passé ne saurait comprendre l’avenir”.
Comme le dit cette citation de Sénèque, connaitre l’histoire du Web, c’est comprendre pourquoi il a été créé, quels événements ont contribué à ce qu’il est aujourd’hui et comment préserver ce joyau d’informations, de savoirs et de culture.
Bref, je vous recommande chaleureusement la lecture des 3 chapitres sur css-tricks.com mais je vous invite aussi à consulter le site thehistoryoftheweb.com/ par le même auteur Jay Hoffmann notamment la chronologie complète du web pour vous souvenir de noms oubliés comme CGI, FrontPage, Macromedia Flash, etc…
Photo par Will van Wingerden via Unsplash